Visibiliser ou banaliser : telle est la question !

Ce mois-ci, on se demande pourquoi l’arrivée des femmes au pouvoir est-elle toujours sujet à controverse et si nous ne participerions pas (sans le vouloir) à l’alimenter ?

Le Pouvoir au Féminin
1 min ⋅ 14/11/2024

Les femmes ont leur place dans tous les lieux où des décisions sont prises. Les femmes ne devraient pas être l’exception.” 

Ruth Bader Ginsburg


Quand on évoque l’égalité homme/femme au travail, on est bien obligées de constater que nous sommes encore loin du compte. En France, les hommes sont rémunérés en moyenne 24,4 % de plus que les femmes. Et plus d'1 femme sur 4 occupe un emploi à temps partiel, contre moins d'1 homme sur 10. 

C’est en partie à cause de cet état de fait que l’arrivée d’une femme à un poste de direction est encore sujet à controverse. Ce type de nomination surprend et interroge parce qu’il est encore loin d’être la norme. C’est ce que l’on appelle l’effet de backlash : quel que soit son parcours et ses compétences, l’arrivée d’une femme au pouvoir sera toujours suspicieuse. 

Mérite-elle vraiment sa place ? Ou a-t-elle été nommée pour respecter des quotas/donner une image progressiste à l’entreprise ? 

Tout porte à croire que les femmes ne peuvent pas s’élever dans la hiérarchie sans un coup de pouce législatif. Les quotas ont beau faire polémique : ils fonctionnent. En 2021, 43 % des CODIR comptaient moins de 20 % de femmes. Depuis le passage de la loi « Copé-Zimmermann » elles représentent aujourd’hui 46,7 % des membres des conseils d'administration des entreprises du CAC 40. 

Mais ce qui a indéniablement participé à faire avancer la parité en entreprise ressemble aujourd’hui dangereusement à un cadeau empoisonné. L’efficacité des quotas s’accompagne presque toujours d’une remise en question de la légitimité des femmes à s’élever dans la hiérarchie. Un manque de confiance de l’opinion publique en général, mais aussi de leur organisation qui aura souvent tendance à scruter leurs performances de plus près. On le sait : être nommée à un poste de pouvoir ne signifie pas systématiquement que l’on y est soutenue. Il suffit de regarder le sort réservé à nos (rares) femmes Première Ministre pour s’en convaincre. 

Résultat : la huitième étude du cabinet Mckinsey sur l’avancement des femmes dans le monde des entreprises montre qu’au cours de la dernière année, les femmes leaders ont quitté leur emploi à un rythme plus élevé que leurs collègues masculins. Et cet écart est le plus important depuis les cinq dernières années. 

Le pouvoir pèse plus lourdement sur les épaules des femmes parce qu’elles ont souvent dû en faire beaucoup plus pour l’arracher. Mais aussi et surtout parce qu’il est constamment mis en doute, observé à la loupe…

Cette sur-attention n’est d’ailleurs pas toujours le fait des détracteurs. L’arrivée d’une femme au pouvoir peut aussi être sur-médiatisée pour des raisons plus nobles : elle partage un exemple positif aux futures générations de directrices et de directeurs… 

Une femme qui est nommée à un poste de direction, c’est le signal que les choses vont dans le bon sens et de l’espoir envoyé aux femmes actives ou qui s’apprêtent à rejoindre le monde du travail. 

Mais est-ce que ces effets d’annonce ne sont pas plus contre-productifs qu’il n’y paraît ? En faisant des femmes qui réussissent en entreprise des exemples, est-ce que l’on ne participe pas nous aussi à placer une cible sur leur dos ? A attirer les regards sur les raisons pour lesquelles elles ont été nommées à leur poste et à leurs performances en tant que directrices ?

La question que je me pose, c’est de savoir s’il ne vaut pas mieux banaliser la situation (au risque d’invisibiliser les inégalités qui persistent et de priver les femmes de modèles). Ou au contraire visibiliser le combat des femmes qui arrivent au pouvoir (et participer à rendre ces nominations spectaculaires, et finalement “controversées”) ?

Vous l’aurez compris : en dédiant une newsletter et un podcast à ce sujet, mais surtout en donnant la parole à des femmes de pouvoir, j’ai plutôt tendance à pencher pour la seconde option. Mais je reste persuadée que la visibilité ne nous est pas d’une grande utilité si elle ne s’accompagne pas d’un mouvement de fond et d’une redéfinition de ce qu’est le pouvoir. 

Dégenrer le leadership, ce n’est pas uniquement montrer plus de femmes à des postes de direction. C’est surtout changer la vision que l’on se fait d’un bon leader. En insistant de plus en plus sur l’importance des soft skills et des styles managériaux horizontaux au niveau de la direction, on participera à accroître le nombre de femmes dans les CODIR et autres organes de gestion. 

Mais restons prudentes, et veillons à ne pas nous enfermer dans une vision limitante de notre propre pouvoir. 

Bref, le combat continue !


Pour vous accompagner sur ces sujets, l’expertise du podcast s’étend avec des interventions sous format tables rondes, ateliers et conférences en entreprise !


🎧 Les deux derniers épisodes du podcast à rattraper

Table ronde :  Du syndrome de l’impostrice à la légitimité des femmes au pouvoir. Un épisode un peu spécial puisqu’il s’agit de la première table ronde enregistrée avec trois invités et une audience, en partenariat avec le réseau Comète. Avec Adeline Afflatet, DG de BU, Galileo Global Education, Julie de Comarmond, Ex-DRH, LVMH et Gaël Châtelain-Berry, Auteur et Podcaster @Happywork, nous échangeons sur les racines du syndrôme de l’impostrice et les leviers pour renforcer la légitimité des femmes leaders. 

  • 🎧 Cet épisode s’adresse à toutes celles qui ont… de bons écouteurs et un peu de patience (la qualité de l’audio est un peu médiocre sur les premières minutes, mais elle s’améliore considérablement par la suite). Plus sérieusement, cette discussion participe à pointer les évolutions nécessaires pour que les femmes deviennent automatiquement légitimes à des postes de pouvoir.

Sandrine Lilienfeld, Ex-DG de Naf Naf, Gérard Darel et Caroll - “Les jeux politiques ne marchaient pas avec moi.” Après une longue carrière dans le secteur de la mode textile (chez Naf Naf, Camaieu ou encore Carole, Sandrine travaille aujourd’hui à son compte comme agent de transition et consultante. Dans cette première partie de notre entretien, elle nous partage son expérience en management de crise et comment elle a tenté (et souvent

  • 🎧 En plus de revenir sur les temps forts du parcours inspirant de Sandrine, cet épisode nous donne des clés pour trouver son style de leadership et surtout y rester fidèle dans des environnements différents et parfois chaotiques.

Si vous préférez la lecture, tous les épisodes deviennent des articles

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📖 Les reco lectures et écoutes

Pour mieux comprendre pourquoi l’arrivée d’une femme à un poste de pouvoir fait encore polémique, voici 3 recommandations qui vous permettront de creuser le sujet. 

  • Backlash : la guerre froide contre les femmes de Susan Faludi. Paru pour la première fois en 1991 (et traduit en français en 1993), cet essai de la féministe américaine Susan Faludi reste malgré tout d’actualité. Dans une enquête de 500 pages, elle analyse la contre-offensive qu’elle observe envers les droits des femmes et cherche à comprendre pourquoi on veut nous faire croire que “le chemin qui conduit les femmes vers les sommets ne fait que les précipiter, en réalité, au fond de l'abîme”. 

  • Tar ou l’impossible leadership féminin ? Ce film dans lequel l’actrice Cate Blanchet incarne une femme cheffe d’orchestre est un véritable cas d’école en matière de représentation des femmes de pouvoir. On y suit la descente aux enfers d’une personnalité tyrannique et qui abuse volontiers du pouvoir qu’elle a sur les autres. De quoi se questionner sur l’intention du cinéaste qui, selon un article de Le Genre et l'Écran, semble vouloir régler ses comptes avec le féminisme. Mais on peut aussi se demander s’il n’est pas bénéfique de dégenrer le leadership des femmes en ne l’attachant pas systématiquement à des qualités dites “féminines” comme la bienveillance  ou la douceur. 

  • Femmes managers : le sexisme est moins palpable mais fait toujours aussi mal. Cet article de la journaliste américaine Madeleine Crean (traduit en français par Welcome to The Jungle) montre l’évolution du sexisme en entreprise à mesure que l’on en gravit les échelons. Loin d’en être épargnées, les femmes manageurs le vivent bien souvent de manière plus pernicieuse. Nadia Edwards-Dashti, auteure de FinTech Women Walk the Talk, nous partage son expérience ainsi que des pistes pour ne pas jeter l’éponge lorsque l’on attend de ses confrères un respect mérité qui ne vient pas.

Le Pouvoir au Féminin

Le Pouvoir au Féminin

Par Nelly Jimenez