Où que l’on regarde, il semblerait bien que 2025 sonne le grand retour du virilisme, plus assumé, caricatural, mais aussi plus toxique que jamais. Dans cette newsletter, on s’interroge sur ce come-back réussi et sur comment imaginer (et surtout mettre en œuvre) une alternative réjouissante et réaliste au leadership viriliste.
“La résurgence d’un patriarcat qu’on croyait derrière nous fait partie des fâcheuses surprises que nous réserve l’histoire.”
Sylviane Agacinski
“Je pense qu’une grande partie de notre société est devenue (…) castrée, en quelque sorte, ou émasculée. (...) L’énergie masculine est bonne. La société en a beaucoup, mais la culture d’entreprise essaie vraiment de s’en éloigner »,
La phrase que vous venez de lire n’a pas été prononcée par un influenceur masculiniste comme Andrew Tate, ni même par un leader conservateur comme l’argentin Javier Mileil. Elle sort de la bouche de Mark Zuckerberg, le CEO de Méta, Le virage “mascu” de Zuckerberg ne surprend pas vraiment les féministes, qui se souviennent des origines un peu douteuses de Facebook (qui rappelons-le, avait été créé pour pouvoir noter le physique de ses camarades d’université).
Mais pour celles et ceux qui s’étaient arrêtés à ses engagements philanthropiques au côté de son épouse (inspiration Bill et Mélinda Gates) ou à l’image progressiste d’Instagram, ce positionnement a de quoi surprendre. Au-delà des paroles chocs (censées brosser le nouveau gouvernement qui vient d’être élu dans le sens du poil), ce virage viriliste a des conséquences directes sur Meta.
Zuckerberg a par exemple supprimé les objectifs de représentation de femmes et de salariés issus de minorités ethniques dans ses équipes (les fameux programmes DEI pour Diversité, Équité et Inclusion). Le chef d’entreprise a ensuite annoncé sa décision de licencier 5 % du personnel afin «d’éliminer plus rapidement les personnes peu performantes». Sans oublier la défense de la sacro-sainte liberté d’expression sur ses applications (ambiance X sous Elon Musk) qui devrait faire la part belle aux fakes news et aux discours haineux.
Plus globalement, le virilisme, ce vieux compagnon de route du leadership, semble avoir encore de beaux jours devant lui. Alors que les discours sur l’inclusion et la diversité ont fleuri ces dernières années, en ligne comme IRL, le poids des normes genrées et des comportements typiquement associés à une vision dépassée du pouvoir masculin continue de structurer nos organisations.
Le virilisme ne se résume pas à des stéréotypes de force ou d’autorité brute. C’est une réalité bien plus insidieuse, qui repose sur des attributs qui sont encore largement valorisés dans notre société : la compétitivité (mais à outrance), le manque d’écoute, l’autorité (ou plutôt la valorisation de la domination dans les relations professionnelles)... Vous voyez le tableau !
Ces comportements, souvent glorifiés sous couvert d'efficacité ou de pragmatisme, finissent pourtant par nuire à la performance collective, à l’innovation et, soyons francs, à la pérennité des entreprises elles-mêmes.
Pour illustrer les effets pervers de ce management viril (et donc par définition toxique), on peut citer l’exemple d’American Apparel, dont le CEO Dov Charney, en plus d’avoir imposé une gestion extrêmement verticale et centralisée, a participé à la chute de son entreprise avec son comportement prédateur. Ou encore Uber (à l'époque de Travis Kalanick), fortement critiqué pour sa culture d’entreprise hyper-compétitive et toxique.
Alors même que l’on croule sous les exemples des effets pervers du virilisme en entreprise, pourquoi continue-t-on encore largement à privilégier cette approche ?
L’idée que les bons leaders doivent être "durs", inflexibles et infaillibles continue de dominer largement toutes les sphères de notre société. Face au contexte actuel (récession économique, conflits militaires, crise écologique), nombreux sont ceux qui pensent encore que nous avons besoin de personnalités fortes, aussi bien en politique qu’en entreprise. Il suffit de voir notre Président qui martèle depuis plusieurs mois son envie de réarmer la France et l’Europe (quand il ne parle pas de réarmement démographique ou pose carrément en pleine séance de boxe).
Pourtant, ce modèle laisse peu de place à des qualités essentielles : l'écoute, la coopération ou encore l'empathie. Et tous ceux qui s’en éloignent (les femmes, mais aussi les hommes qui font le choix d’adopter un style de leadership moins traditionnel) sont donc largement perçus comme moins légitimes.
Ce fut notamment le cas de Jacinda Ardern (l’ancienne Première ministre de la Nouvelle-Zélande) qui, bien que largement respectée, a souvent été accusée de manquer de fermeté ou de la capacité à prendre des décisions rapidement. Idem pour Tim Cook : lorsque le PDG d’Apple a succédé à Steve Jobs, il a été perçu comme manquant de la "force" et de la vision charismatique de son prédécesseur.
La question n’est pas d’opposer les genres, mais de remettre en cause ces modèles étroits de pouvoir. Pourquoi continuer à survaloriser une version du leadership qui appartient au passé, alors que les défis actuels – écologiques, sociaux et économiques – nécessitent des approches collaboratives et inclusives ?
D’une complexité sans précédent, les enjeux auxquels nous faisons face en tant qu'organisation, mais aussi en tant qu’individus, sont bien souvent globaux et interconnectés. Cette réalité rend les approches traditionnelles de type autoritaire, centralisées ou dominatrices largement inadaptées.
Un parfait exemple est celui de la crise environnementale. La lutte contre le changement climatique nécessite l’implication des gouvernements, des entreprises, des scientifiques et des citoyens à travers le monde… Aucun acteur ne peut résoudre le problème à lui tout seul. Bien au contraire, nous avons besoin de perspectives variées (sociales, culturelles, disciplinaires).
Changer de leadership, c’est embrasser un management plus collaboratif, qui permet d’intégrer des savoirs multiples et d’accoucher de solutions réellement novatrices et durables.
Il est grand temps de déconstruire nos réflexes virilistes, de valoriser des compétences comme l'intelligence émotionnelle ou la capacité à mobiliser des énergies collectives. Et surtout, de repenser les espaces de pouvoir pour qu’ils cessent d’être des lieux de confrontation et deviennent des lieux de concertation et donc de transformation. Alors plutôt que de reprendre une nouvelle dose de virilisme, est-ce que l’on n’explorerait pas plutôt de nouvelles voies ? Des voies dans lesquelles le leadership rime avec équité, écoute et diversité ?
Au-delà des bonnes intentions, j’ai la sensation que 2025 sera une année où, sans tomber dans le penchant viriliste que l’on vient précisément de dénoncer, nous allons aussi devoir nous montrer plus combatives.
Des US, avec sa broligarchie, en passant par l’Argentine ou la Corée, l’image du leadership fort et providentiel fait plus que de la résistance. Il nous faudra donc beaucoup de résilience, mais aussi de combativité, pour montrer qu’une autre voie est non seulement possible, mais surtout nécessaire.
Le changement a déjà trop attendu !
Depuis la dernière newsletters, deux nouveaux épisodes sont en ligne :
Florence de Noray, VP finance & M&A Europe Continentale DCC Energy “Je suis plus pour l’équité que l’égalité. “ Florence nous partage, entre stratégies complexes et gestion de projets d’envergure, une vision du pouvoir ancrée dans la loyauté, le pragmatisme et la capacité à fédérer. Ensemble, nous parlons aussi du courage managérial, essentiel pour prendre des décisions ajustées et les porter avec conviction, transparence, même face à l’incertitude.
🎧 Cet épisode donne à entendre une voix (et une voie) différente sur l’équilibre des genres en entreprise. Florence plaide en effet pour instaurer une culture d'équité plutôt que d'égalité, pour permettre à chaque voix de se faire entendre et créer les conditions d’une réelle symétrie des opportunités.
Nadège Onderka, Adjointe cheffe du dép. transformation digitale, Ministère des Armées “Dans ma tête, DG…. Wow”. Comment passe-t-on de grands groupes à des start-ups, puis du privé au ministère des Armées en passant par l'entrepreneuriat ? Dans cet épisode, Nadège Onderka nous raconte son parcours atypique et sa vision du pouvoir : un levier d’influence et d’engagement, bien plus qu’une question d’autorité.
🎧 Un super épisode pour se motiver à saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent et à ne pas s’enfermer soi-même dans des cases. Nadège nous partage des conseils pour oser, naviguer dans des secteurs très différents et trouver son équilibre entre hiérarchie rigide et management agile.
Si vous préférez la lecture, tous les épisodes deviennent des articles
Le 29 janvier dernier se tenait la table ronde "Parité et Égalité : Évolution des lois et Impacts culturels". Avec des expertes engagées, issues de divers horizons, nous avons discuté des avancées législatives en matière d'égalité professionnelle et de leur influence sur les dynamiques organisationnelles.
Parmi les intervenantes, Florence Dupré, DGA de La Poste Santé et Autonomie et fondatrice de Women for CEO, Marie-Pierre Rixain, députée de l'Essonne et Mathilde Poisson, Leadership Development Principal chez Doctolib ont partagé leurs perspectives sur le sujet. Un grand merci à elles pour leurs contributions, mais aussi à toutes celles et ceux qui ont fait le déplacement et dont les échanges ont enrichi le débat.
Cette soirée a permis de mettre en lumière le rôle des lois pour favoriser l'égalité, tout en soulignant la nécessité d'une transformation culturelle au sein des organisations. Ensemble, nous avons pu échanger sur les obstacles qui persistent, mais aussi les stratégies pour les surmonter. Il en ressort clairement l’importance d’une approche inclusive et collaborative pour que la parité ne reste pas un vœu pieux, mais une réalité concrète !
Et pour celles et ceux qui n'étaient pas là, vous retrouverez l’épisode spécial du podcast dédié à cette table ronde le 24 février sur toutes les plateformes !
On reste dans la thématique du virilisme à outrance, de ses origines, résurgences et conséquences sur le monde du travail avec 3 recommandations qui vous permettront de creuser le sujet.
La fabrique des masculinités au travail – Haude Rivoal. Cet essai analyse comment les normes virilistes se construisent et se perpétuent dans le milieu professionnel, influençant les dynamiques de pouvoir et les relations de travail. Haude Rivoal décortique notamment les liens entre injonctions productives et fabrique des masculinités au travail, en particulier dans le secteur de la Grande Distribution.
Travail (en cours) : Les managers doivent-ils s’ouvrir aux émotions de leurs équipes ?. Dans l’épisode de ce podcast de Louie Media, Marie Semelin s’interroge sur la place des émotions dans le monde du travail, et comment, après en avoir été totalement exclues, elles gagnent progressivement du terrain. Avec des experts en management et en sciences cognitives, elle réfléchit à l’importance d’exprimer ses émotions, mais aussi de les prendre davantage en compte.
How Toxic Masculinity Is Ruining Workplace Culture – SHRM (Society for Human Resource Management). Cet article (en anglais) aborde l'impact du virilisme toxique sur la culture d'entreprise. Il met en lumière ses effets néfastes sur la collaboration, l’innovation et le bien-être des employés, notamment en étouffant la diversité des styles de leadership. Une lecture intéressante qui nous offre une analyse directe des structures organisationnelles qui favorisent ces comportements, tout en proposant des pistes pour inverser la tendance et instaurer des modèles plus inclusifs et respectueux
Pour retrouver toutes les informations sur le podcast et les activités autour, c’est ici: https://www.lepouvoiraufeminin-podcast.fr